Après un voyage au Pérou, très impressionnée par toute cette culture Andine, j'ai eu envie de dialoguer, à cinq siècles de distance, avec une mystèrieuse petite Juanita...
Au milieu de la place, comme tous les autres enfants, avec ton amie Sarita, tu cours… heureuse, enjouée, épanouie, après cette boule de chiffons… et tu éclates de ce rire cristallin qui à chaque fois dessine un sourire sur le visage de Mira ta maman…
Tu ne cesses de rire, et le sourire de Mira se fige, se transforme peu à peu, ses yeux s’illuminent, la fierté la submerge, et la douleur aussi…
Elle t’observe depuis la terrasse de pierre de sa belle demeure de Cusco. La grande noblesse de sa famille est reconnue par l’Inca, cette noble famille a donné tant de religieux. Cette reconnaissance déifie la dynastie des ancêtres, et le choix de Juanita en est l’accomplissement.
Car Juanita, sa fille unique, la petite lumière de son cœur, a été élue par les prêtres pour porter, un jour, le message aux dieux…
Mais pour l’instant tu joues encore , petite Juanita, tu ris avec tes amies… Ne te presse pas de grandir… Mira sent qu’elle pourrait pleurer, même si… L’admiration l’emporte encore, en te regardant jouer tu es sa toute petite, sa fille, un jour , bientôt, demain , tu ne le seras plus, tu seras l’enfant bénie des Dieux.
Sur cette terre sacrée, au milieu des Dieux Mitsi, Ampato, Pichu Pichu… L’Inca veille sur son monde, osmose parfaite de l’humain et du divin…
Cette cérémonie dans le temple du soleil, cette toute petite jeune fille que tant de gens adulent, et portent en offrande, cette vie crée pour le bonheur de tout un peuple, c’est toi, petite Juanita. Toi qui hier jouait, insouciante avec Sarita (qui elle aussi, après toi, mais elle est encore si jeune …), et vos mamans respectives se tiennent par la main, peut être serrent elles un peu trop fort, se regardent, peut être un peu trop longtemps, que de sentiments contradictoires partagés en ces instants…
Les plus beaux tissus sont déposés à tes pieds, ta maman et les autres femmes brossent tes magnifiques cheveux noirs, elles te parent des plus fines étoffes incaïques dont les fils d’or et d’argent illuminent ton regard si pur et si confiant.
Tu as à peine passé tes dix ans, et te voici au milieu de ce temple, comprends-tu ce qui se passe ? Ta maman Mira qui te regarde avec tendresse a-t-elle trouvé les mots pour t’expliquer ? Oui, bien sûr, il y a des mots…Des mots pour te dire que tu devras porter le message aux Dieux, que tu as été choisie, que tu es la joie, l’ orgueil de ta famille… Mais au-delà des mots, comprends-tu petite Juanita ?
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Combien de temps encore partageras-tu les jeux innocents des enfants de ton âge ?
Après cette cérémonie, Mira sait qu’elle te perd chaque jour un peu plus.
Encore un anniversaire, le dernier peut être pense Mira…Une cérémonie,
la dernière sûrement…
Déjà, tout autour de toi, tout s’accélère, le départ est pour demain.
T’ont-ils dit, petite Juanita, qu’il te faudrait aller si loin ?
C’est tout un cortège qui doucement escalade le flanc ouest du Volcan, une grande partie de ton village natal est là. Des hommes, menant des lamas, qui portent sur leur dos le matériel et la nourriture nécessaires à une ascension de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines, et aussi toutes ces choses que tu apporteras aux dieux pour qu’ils t’écoutent, qu’ils t’entendent. Ces offrandes qui comme toi sont sacrées.
Des femmes veillant sur ton bien être, sur ton état mental, sur ton état physique aussi, ce voyage éprouvant pour tous, le supporteras tu, toi petite fille riche, choisie par et pour les Dieux. Derrière, suivent les musiciens, les religieux, les prêtres, tu entends leurs incantations, tu psalmodies avec eux, comme on te l’a appris…
Après plusieurs jours de marche, le cortège s’installe au pied du volcan. A 4950m d’altitude, un village prend vie, les hommes construisent des maisons pour se protéger du froid, les femmes cuisinent ce qu’elles ont emporté, viande de lama, pommes de terre…
Chacun mâche les feuilles de coca, contre le mal des montagnes, et chacun boit la chicha, cette bière de maïs que l’on t’apprend à aimer, mais pourquoi ? Tu grimaces un peu, pas trop, déjà la tête te tourne … Comprends tu petite Juanita ?
Quelques jours plus tard, c’est une troupe réduite qui t’accompagne sur le chemin des crêtes qui suit l’arête de la montagne sur plus de mille mètres de hauteur.
Un campement supérieur est installé à 6100m, le froid est mordant, tes pieds gèlent malgré les bandelettes… Des tentes sont dressées sur des tapis d’herbes transportées jusqu’ici, pour s’isoler de la neige et du vent glacial qui s’infiltre partout.
Il ne te reste que quelques membres de ta famille pour te soutenir. Et du soutien, tu en as besoin, petite fille épuisée qui serre sa poupée contre son cœur.
Quelles images passent dans les yeux de ta maman quand elle te voit aussi faible et souffrante, lorsqu’elle croise ton regard où la peur insidieusement s’infiltre…
Et ce matin, parée de tes plus belles étoffes, de ta jolie coiffe de plumes, quand tu commences à gravir le dernier sentier, avant le sommet, quels sentiments agitent ta maman qui te regarde t’éloigner ? Est-ce toujours la joie et la fierté ?
Seuls les prêtres t’accompagnent. Tu es seule, transie de froid, à demi anesthésiée par la chicha, la coca, les drogues…
Assise face au volcan Ampato, tu sens le sommeil t’envahir, tu te laisses emporter vers cet ailleurs où les dieux t’attendent… Tu te souviens du message…Tu vas leur dire…pour les récoltes…pour le vent...pour la pluie…pour les hommes…tu vas renaître…renaître…
Un monde nouveau s’ouvre à toi …
Maintenant tu ne vois plus rien, tu ne sens même pas le coup porté contre ta tempe droite.
Les prêtres te préparent , ils te protègent du froid en hissant un mur de pierre autour de toi, ils t’entourent de toutes les offrandes destinées aux dieux qui t’attendent, les bourses à coca, les vases à chicha, les lamas d’argent, les statuettes d’or, les poupées de chiffons, des poteries, des graines, des épis de maïs…
Ils vont redescendre, refaire le chemin en sens inverse… jusqu’au jour où…quand Sarita aura grandi…
Tu es restée là, seule, isolée, (en apparence seulement, car tu vis au milieu de ces dieux auxquels on t’a sacrifiée), pendant plus de cinq siècles, avant qu’un de tes compatriotes ne te découvre, guidé par la voix de ces mêmes dieux…
Ce sont bien eux, n’est ce pas, petite Juanita, qui ont réveillé le volcan Sacambaya, afin que l’on te retrouve ? Afin que Miguel te découvre, car les dieux n’ont pas choisi l’américain, mais se sont servi de lui pour rendre la mission possible, c’est bien cela petite Juanita ?
N’est ce pas petite fille ? Fière de montrer au monde la puissance et la sagesse de ton peuple…
N’est ce pas petite Juanita ?
Et maintenant, vois tu encore ces dieux que tu côtoyais ?
Es-tu encore près d’eux dans ta cage de verre réfrigérée du musée Santuarios Andinos d’ Aréquipa ?
Ou es tu à nouveau seule ?
Aurons-nous la réponse petite Juanita ?
Je te regarde…
Européenne venue de si loin, cinq siècles plus tard, et insatisfaite de tout ce savoir, je te demande, du plus profond de moi :
Qui es tu petite Juanita ?
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8 commentaires:
Que voilà une belle façon de nous partager vos émotions de voyage... sans doute de beaux souvenirs et un dialogue très sensible !
une superbe série de photos à la clé ! bravo pour cette façon très personnelle et très attentive, de nous raconter le Pérou !
Photos belles très belles...
Qui es-tu Korrigane ?
Bisous
histoire émouvante par un conteuse parfaite
des mots fins bordés de sensibilité et de profonds questionnements
Quel beau texte amie Korrigane !!! Tu as vraiment le talent de l'écriture et je suis impatiente de lire la suite de ton récit.
Tes photos sont également superbes.
Merci pour ce beau partage.
Je t'embrasse.
Quel beau texte! J'aime la liberté que tu t'es accordée d'imaginer l'histoire de cette fillette et de son entourage. J'aime à croire que tu as eu vent de cet évènement ancien par un canal subtil, qu'une intuition t'a soufflé à l'oreille le récit dont tu nous a régalé. Merci.
merci à vous tous pour ces compliments, ils me vont droit au coeur. Lorsque j'ai rencontré Juanita, en juin dernier, à Aréquipa, j'ai vraiment ressenti le choc des cultures. Pensez: au même instant... les Incas sacrifiaient cette enfant et Leonard de Vinci peignait la Joconde!!! Voila pour moi ces manifestations de mondes parallèles invisibles...qui ont fait ce que nous sommes.
korrigane
coucou Lmvie,
tu me demandes qui je suis...saurais je vraiment répondre à cette question? La moitié d'un tout c'est sur! toujours à la recherche de l'autre moitié...Et ce sentiment permanent de me tromper de quête... Ce blog en est l'illustration.
mais quand même un bout en train...
bisous
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